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mardi 5 mai 2020

2020-05-05

(g-d): Lourdes Ramos, Cristina Rios, Maria Luisa Prados et Ana Rubio,
quatre jeunes médecins, dans leur appartement de Madrid, le 28 avril
2020.

(g-d): Lourdes Ramos, Cristina Rios, Maria Luisa Prados et Ana Rubio,
quatre jeunes médecins, dans leur appartement de Madrid, le 28 avril
2020.

A deux pas de l’hôpital de Madrid où elles bravent le coronavirus aux
urgences, quatre jeunes médecins vivent dans un même appartement et
calment, ensemble, les angoisses générées par la pandémie dont elles
espèrent sortir «grandies».

C’est dans leur minuscule salon aux étagères ornées de faux cactus et
d’un grand disque de Bob Dylan que l’une d’elles, Maria Luisa Prados, a
annoncé aux autres, fin mars: «une fille de 28 ans est morte du
coronavirus, elle était médecin de famille dans un Centre de santé
comme nous».

«J’ai ressenti beaucoup d’angoisse, au début. J’ai même eu des
blessures aux mains à force de me les laver», reconnaît une autre des
colocataires, Lourdes Ramos, éprouvée par le suivi quotidien de
«patients qui évoluent bien, puis, du jour au lendemain, peuvent
plonger dans un état grave».

Maria Luisa et Lourdes ont 29 ans. Ana et Cristina une année de moins.

Leurs voisins qui, chaque soir, rendent hommage aux soignants en
applaudissant, ignorent que ces quatre femmes postées à une fenêtre
sont des médecins en fin d’études, capables d’aller travailler à 8H00
dans un Centre de santé puis d’enchaîner par une garde aux urgences de
l’hôpital voisin, jusqu’à 8H00 le lendemain matin.

Toutes ont les cheveux longs et un grand attachement à leurs régions
d’origine, l’Andalousie et les Canaries. Trois achèveront bientôt leurs
études de «médecine familiale et communautaire» et avaient prévu de
fêter ça en avril au Vietnam.

Mais le 3 mars, le premier décès dû au coronavirus a été annoncé dans
le pays et l’épidémie a tué plus de 25.000 personnes depuis.

«Pas immortelles»

Comme d’autres hôpitaux madrilènes, le Gregorio Marañon a été débordé.
«Je n’oublierai pas le 24 mars», dit Ana Rubio, le visage mangé par sa
chevelure brune, ses lunettes et un masque chirurgical.

«Tu enfilais un équipement de protection individuel et tu entrais dans
la «zone coronavirus», qui était en fait tout l’hôpital. Tous les
couloirs étaient remplis de patients, de patients, de patients.
Beaucoup attendaient un lit depuis 48 heures en dormant sur des
chaises».

En parlant, Ana revit cette sensation d’impuissance totale qui l’avait
saisie - «quelqu’un peut mourir maintenant et je ne m’en rendrais même
pas compte» - même si «les gardes se sont améliorées ensuite et on a
commencé à comprendre comment le virus fonctionnait».

Le pic de l’épidémie fut atteint dans cet hôpital le 1er avril, avec
plus d’un millier de patients admis pour coronavirus dont 112 en soins
intensifs, dit-elle.

Les quatre internes - dont trois filles de médecin - découvrirent alors
toutes les insuffisances du système sanitaire mais aussi leur propre
fragilité.

«Cette expérience va nous aider à grandir comme médecins, à valoriser
la vie d’une autre manière», dit Ana qui ajoute par deux fois: «nous ne
sommes pas immortelles...».

«Thérapie entre amies»

Au bout de l’immense couloir de l’appartement, Maria Luisa Prados
désigne négligemment la baignoire d’une salle de bain désaffectée où
s’entassent les tuniques portées au Centre de santé, à laver à 90
degrés.

Chacune reste assez discrète sur les situations les plus dures qu’elle
a vécues.

Mais Maria Luisa a été marquée par la souffrance ressentie par d’autres
collègues qui, au plus fort de la crise, quand les respirateurs
manquaient, se voyaient contraints de refuser l’entrée de certains
patients dans l’unité de soins intensifs...

Elles ont parfois pleuré elles-mêmes après avoir annoncé de mauvaises
nouvelles à des proches de patients, notamment tous ceux qui dans un
premier temps «ne pouvaient pas pénétrer dans la zone coronavirus pour
un dernier adieu» à un mourant, ce qui a été autorisé ultérieurement,
confie Cristina Rios.

Trois d’entre elles ont été envoyées d’office travailler à l’hôpital de
campagne du Centre des expositions de Madrid.

De ce lieu conçu pour traiter les cas les moins graves, elles sont
ressorties galvanisées par l’esprit de «camaraderie» et «la joie»
d’avoir vu, finalement, des centaines de patients guéris et
reconnaissants.

Leurs familles sont loin, leurs petits copains inaccessibles le temps
du confinement.

Elles redoutent un futur regain de l’épidémie et que l’hôpital de
campagne, fermé le 1er mai, soit obligé de rouvrir.

Mais ces jeunes femmes enjouées ont passé un pacte non écrit: ne pas
laisser le virus envahir toute leur vie.

Alors Maria Luisa s’exerce à la danse contemporaine, Lourdes dessine
dans ses carnets, Ana soulève des haltères et Cristina prend des cours
de guitare par internet.

Elles se serrent au salon pour bavarder, jouer aux cartes, danser le
swing ou la zumba, et partager les plats mijotés par Ana. Quand
Cristina leur joue des chansons folk à la guitare, les autres
l’accompagnent avec un clavier de piano et deux ukulélés.

«C’est un peu comme une thérapie entre amies, conclut Ana. Notre
thérapie, par la musique, le rire, la danse...».
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